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« Le marketing de nos émotions » est un essai qui enquête sur la place des émotions dans notre société (numérique, consommation, entreprise, médias) et l’apparition de nouveaux outils de mesure via l’intelligence artificielle, tout en donnant des recommandations pour reprendre le contrôle.

A l’occasion de la sortie de « Le marketing de nos émotions », j’ai eu l’occasion d’interviewer Cédric Teychené . Il nous explique notamment pourquoi la course aux émotions a dépassé le numérique pour atteindre la société tout entière.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

J’ai travaillé dans les médias, avant de rejoindre les univers de la communication et de la formation. Né dans les années 80, je fais partie de la génération qui a précédé les « digital natives ». J’ai connu les débuts d’Internet, puis les ancêtres Caramail et Myspace, avant d’installer Facebook en 2007 et constaté un basculement au fil des années. Les réseaux sociaux sont devenus bien plus qu’un outil pour rester en contact avec ses amis, ils ont changé nos façons de vivre et de penser.

A propos du livre : pourquoi avoir choisi ce sujet ?

J’avais justement l’impression que je passais beaucoup trop de temps sur ces réseaux et qu’ils avaient tendance à isoler plutôt qu’à créer du lien. Mes réflexes d’ancien journaliste ne m’ont pas quitté et j’ai essayé de comprendre pourquoi. Je me suis rendu compte que les émotions étaient au cœur du fonctionnement de ces outils qui reposent notamment sur des mécanismes de récompense pour capter notre attention et générer toujours plus de données. En parallèle, j’entendais partout parler d’émotions : « vagues d’émotions » dans les médias, intelligence émotionnelle dans les entreprises, marketing sensoriel – notamment olfactif – pour les marques, développement du neuromarketing censé lire dans nos émotions… Je voulais savoir ce qu’il y avait derrière le terme fourre-tout « émotions ».

Elles traversent aujourd’hui une petite révolution. Comme en témoigne le lancement récent de Halo, bracelet créé par Amazon qui promet de les mesurer, elles sont le terrain de jeu des géants du numérique, comme des acteurs du marketing et de la data. A l’appui d’évolutions technologiques, nos joies, peurs et colères sont détectées, analysées, puis exploitées.

La course aux émotions a dépassé le numérique pour atteindre la société tout entière : médias, consommation, entreprise, etc. Je m’appuie sur des études, des interviews d’experts et des exemples pratiques pour essayer de décrypter ce nouveau monde émotionnel. J’ai voulu que ce livre soit à la fois instructif pour les pros, mais aussi accessible pour le grand public.

Peur, joie, tristesse, colère ou dégoût sont des émotions universelles. Elles font aujourd’hui l’objet de toute l’attention des professionnels du marketing. Pourquoi ?

Une émotion s’accompagne d’une réaction. Dans le numérique, cela peut être un cœur, un like ou un commentaire, dans la « vie réelle » c’est une expression du visage, un changement dans la tonalité de la voix, une augmentation du rythme cardiaque, etc. La technologie permet désormais de mesurer ces réactions émotionnelles, ouvrant une nouvelle ère. A l’appui de l’intelligence artificielle et des neurosciences, il est possible de sonder des émotions qui étaient auparavant intimes et de mieux comprendre les comportements des individus.

Recherchées en magasin, à l’hôtel, dans l’avion, dans les films, les émotions marquent les esprits dans un monde où nous sommes sur-sollicités et débordés d’informations. Les neurosciences le confirment : plus l’expérience émotionnelle est importante, plus elle a de chance d’être mémorisée. Utile pour créer de l’adhésion à un produit, une entreprise, un politique ou une actualité !

Réseaux sociaux : au final les émotions l’emportent sur le rationnel ?

Bien sûr et c’est leur fonds de commerce ! N’oublions pas que le modèle économique de ces réseaux gratuits repose sur la collecte de données pour vendre de la publicité ciblée. Plus nous naviguons, réagissons, commentons sur ces plateformes, plus elles améliorent leur ciblage. Les contenus les plus polémiques, les contenus « chocs » et les clashs sont les plus commentés et partagés par les utilisateurs, ils sont donc favorisés par les algorithmes. Les messages qui créent de la peur (arnaque, mensonge, manipulation) sont particulièrement bien relayés. Sur les réseaux sociaux, les fausses infos et émotions négatives se propagent ainsi plus vite que les informations vraies et positives. Sur Twitter par exemple, une fake news se diffuse en moyenne 6 fois plus vite qu’une vraie. Quand on sait qu’environ 1 Français sur 4 et 1 Américain sur 2 déclarent s’informer uniquement sur les réseaux sociaux, il y a de quoi s’inquiéter car ce sont des espaces peu régulés qui concurrencent les médias. Ces plateformes sont un grand bazar d’opinions et de mises en scène, mais en aucun cas une source d’information sauf évidemment ce qui est posté depuis les pages des médias.

Tu abordes les nouvelles technologies (IA, réalité virtuelle…) Quelle est selon toi la technologie qui transforme le plus l’entreprise ou la société dans laquelle nous vivons ?

Clairement l’IA avec le deep learning. Par exemple, avec la reconnaissance faciale des émotions il est désormais possible d’avoir une caméra face à un public qui filme toutes ses réactions (sourires, froncements des sourcils, etc.) et l’IA fait ensuite un bilan des moments les personnes ont été les plus « heureuses », dubitatives, attentives, etc. Ces technologies – dont les objets connectés et les interfaces vocales font partie – évoluent vers une captation des émotions toujours plus importante. Elles sont neutres, mais peuvent se révéler très utiles ou manipulatrices en fonction des usages qui en sont faits. On peut imaginer le pire, mais mon livre parle aussi des bons usages. Par exemple, les outils d’analyse des expressions faciales peuvent déceler des indices chez des personnes en situation de stress post-traumatique qui ont du mal à verbaliser leurs traumas. Heureusement ces technologies sont encore loin de lire facilement dans nos émotions et, comme le souligne la chercheuse Laurence Devillers qui a signé la préface du livre, une « innovation » comme le bracelet Halo n’est pas fiable dans la mesure des émotions. Elle sert plutôt à collecter toujours plus de données personnelles.

Et pour finir, un petit mot ou conseil pour les lecteurs ?

Je suis dans une critique constructive et la dernière partie du livre est consacrée à de bonnes pratiques pour essayer de reprendre le contrôle, notamment de ses données, mais aussi d’éviter de tomber dans le surmenage numérique ou dans des pièges comme celui des fake news. Je dis bien « essayer » car la tâche est difficile face à des outils qui se perfectionnent très vite.

Je donne aussi six leviers pour sensibiliser à des causes d’intérêt général en créant des émotions. En effet, si elles sont devenues un moyen de vendre, de fidéliser et de récolter de la data, elles sont aussi un formidable moteur de créativité et de mobilisation !

Merci à Cédric Teychené. Vous pouvez commander le livre ici.

13 thoughts on “Interview avec Cédric Teychené auteur de « Le marketing de nos émotions »

  1. Très intéressante cette interview. Et tellement vrai ce qu’il dit, notamment sur les fake news. Les gens perdent complètement leur libre arbitre et leur capacité d’analyse pour suivre les plus actifs et vindicatifs sur les réseaux.

  2. Vraiment très intéressant ton article ! Montrer nos émotions, les cacher ? Mais comment puisque nous sommes connectés et traqués sans cesse avec nos téléphones ?
    On aimerait que les choses reviennent à des envies plus essentielles, qui viennent de nous.

  3. Un article très intéressant et c’est très compliqué de cacher ses émotions dans la vie réelle que dans la vie numérique. Beaucoup utilisent des fakes news pour inciter les gens à les plaindre et c est comme ça que Beaucoup de gens se font arnaquer.

  4. Un interview très intéressante ou l’auteur met le doigt sur le moteur de la société mais aussi de l’être humain : l’émotion. Avec les bons côtés de celle ci mais comme il le souligne : un autre versant avec une utilisation axée sur la manipulation, ses tentatives de contrôle et ses dérives…😻

  5. Coucou,

    Je ne connais pas ce livre ni l’auteur. J’avoue que ce n’est pas le genre de lecture qui m’attire ceci dit après cette interview ça pourrait me pousser à me pencher sur ce livre qui doit être fort intéressant.

    Bise

  6. C’est très intéressant et ce livre est totalement d’actualité. Beaucoup de gens commencent à parler de ça d’ailleurs, comme par exemple la course aux émotions via Instagram et la reconnaissance avec tous les like et les commentaires…

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