0 00 10 min 2 semaines 206

Depuis son apparition en décembre dernier, ChatGPT suscite à la fois des éloges et des critiques, témoignant ainsi de son impact considérable. Développé par la startup américaine OpenAI, ce chatbot a récemment lancé GPT4, sa dernière version visant à améliorer encore davantage les performances de ChatGPT.

Les capacités de précision et de possibilités offertes par cet outil ont impressionné de nombreux acteurs tels que les annonceurs et les éditeurs. Ces derniers y voient une méthode simple pour générer du contenu ou même du code informatique.

Les applications dans le domaine du commerce de détail sont particulièrement nombreuses, allant des descriptions de produits au service client en passant par les recommandations d’achat en ligne. Cependant, il est important de distinguer les idées reçues de la réalité. Quelles sont donc les attentes légitimes à avoir vis-à-vis de cette technologie ?

Afin de mieux comprendre cette technologie, j’ai décidé d’interviewer Léa Fleury, la cofondatrice du projet Ordalie, un ChatGPT spécialisé dans le droit français.

1 – Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Léa Fleury et j’ai co-fondé, il y a quelques mois, le projet Ordalie avec mon associé Baudouin Arbarétier. 

Je suis juriste de formation, j’ai travaillé dans divers cabinets d’avocats d’affaires anglo-saxons mais terminant en parallèle l’ESSEC, j’ai finalement décidé de suivre une autre voie et de devenir Data Analyst. De son côté, mon associé est développeur et a déjà co-fondé plusieurs start-up. 

2 – Parlez nous d’Ordalie, le ChatGPT spécialisé dans le droit français. Et comment est venue l’idée d’un tel projet ?

Ordalie est une plateforme conversationnelle dédiée au droit, une sorte de « chatbot » juridique du droit français. Le principe est le suivant : l’utilisateur pose une question au chatbot et obtient une réponse juridique complète, structurée et tout ceci de manière instantanée. 

L’objectif originel de ce projet est de permettre un meilleur accès à une information juridique de qualité, et ceci au plus grand nombre. Aujourd’hui, le Conseil National des Barreaux estime que 82% des français considèrent que l’accès au droit n’est pas optimal. L’adage « nul n’est censé ignorer la loi » est donc loin d’être une réalité. A titre personnel, je ne trouvais pas normal que l’information juridique soit aussi disparate et inintelligible. Par ailleurs, quand je travaillais en cabinet d’avocats, je passais beaucoup de temps à effectuer des recherches juridiques et une fois mes informations trouvées, je passais ensuite un temps fou à les articuler ensemble. J’étais vraiment convaincue que tout ce processus pouvait être optimisé pour être plus rapide tout en conservant sa fiabilité.

Afin de poursuivre cet objectif et de permettre un meilleur accès à une information juridique de qualité et de manière plus rapide, nous avons donc décidé de nous adresser non seulement à des particuliers qui souhaitent obtenir une réponse juridique rapide mais aussi à des professionnels du droits qui souhaiteraient optimiser leur temps de travail, notamment en ce qui concerne la recherche juridique. 

3 – Les sources sont-elles fiables ?

Oui, nos sources sont fiables. Pour cela, nous avons connecté cette plateforme à GPT-3.5 et GPT-4 afin de pouvoir délivrer des réponses structurées et intelligibles mais nous avons également développé nos propres modèles d’intelligence artificielle en complément pour permettre à l’utilisateur d’obtenir des réponses plus précises, plus pertinentes et surtout à jour (les connaissances de ChatGPT s’arrêtent à 2021). Il y a en plus, derrière tout ça, un gros travail de récupération des données juridiques et de fine-tuning des modèles d’IA.

Bien entendu, nos modèles étant encore relativement jeunes, il se peut que certaines réponses manquent encore de précisions. Pour palier ce problème, nous avons décidé d’afficher l’intégralité des sources qui se réfèrent à la question posée par l’utilisateur. Comme ça, en un clic, il pourra directement aller vérifier dans les sources de droit originales pour approfondir ses recherches. 

4 – Pensez-vous qu’Ordalie va transformer la manière dont on accède à l’information juridique ?

Je l’espère ! En tous cas, c’est mon objectif premier. 

Comme je l’ai évoqué tout à l’heure, pour les particuliers, cet outil a pour objectif de fournir un accès plus facile à une information juridique claire et complète et pour les professionnels du droit, notre technologie a vocation à leur faire gagner un temps considérable sur toute la partie recherche juridique. Pour les professionnels, que ce soit des professionnels du droit ou d’une manière plus générale, la gestion du temps est un avantage concurrentiel à prioriser. Je considère que le temps que vous ne mettez plus à tenter d’agréger et d’articuler diverses informations, vous le passerez à faire autre chose de plus impactant. 

5 – Comment voyez-vous le rôle de l’IA dans l’évolution du domaine juridique ?

Le domaine juridique est un énorme terrain de jeu pour l’IA : comme sur le projet Ordalie, elle permettra des gains de productivité considérables pour les professionnels du droit mais l’IA peut également avoir du potentiel dans tout ce qui est lié à la « justice prédictive ». Elle pourra par exemple, en se basant sur des faits et un contexte donné, anticiper la solution d’un litige ou aider l’avocat à entrevoir les chances de succès d’un litige. 

L’IA peut aussi se révéler être un outil fort utile dans tout ce qui attrait à la rédaction de documents juridiques. 

6 – Quels sont vos conseils pour optimiser l’utilisation d’Ordalie, notamment en ce qui concerne la rédaction des prompts ? 

On a fait un énorme travail dans l’entrainement de nos modèles pour qu’on puisse efficacement faire le lien entre une question posée dans un français simple et des articles de lois ou codes juridiques. Chaque question est traitée par plusieurs couches d’IA ce qui permet en théorie d’éviter un prompting trop pointu. 

Le plus important est de bien décrire le contexte de la question, sans oublier des détails qui pourraient être essentiels pour y répondre. Ainsi, Ordalie pourra répondre de manière personnalisée et plus pertinente à la demande. 

7 – Quelles sont les limites de cette intelligence artificielle ? 

Même si jusqu’à maintenant nous avons eu des résultats très prometteurs au niveau des réponses fournies par Ordalie, nos modèles d’intelligences artificielles ont encore beaucoup à apprendre et il y a parfois encore quelques imprécisions au niveau des réponses délivrées mais celles-ci ont vocation à disparaître avec le temps et le perfectionnement de notre outil.

L’autre limite à laquelle je pense est directement corrélée à cette question : est-ce que notre IA juridique sonne le glas des professionnels du droit ? Selon moi, il est facile de répondre à cette question par la négative parce que l’IA n’est pas en mesure de palier l’expérience et la finesse de l’analyse d’un professionnel du droit. C’est d’ailleurs une bonne transition avec la question suivante…

8 – Un outil comme celui-là peut-il vraiment remplacer l’expert “humain” en droit sans perdre en qualité ?

Selon moi, l’IA dans le domaine juridique ne remplacera jamais le professionnel du droit. Considérer un professionnel du droit comme un simple apporteur d’information juridique au client est réducteur de leurs fonctions. Certes, l’apparition de l’IA dans le secteur juridique aura un réel impact sur les métiers juridiques dans la mesure où, par exemple, les avocats feront face à des clients déjà informés, ce qui obligera le professionnel du droit à repenser son mode de fonctionnement. L’aspect « recherche juridique » sera alors plus ou moins abandonné pour qu’il puisse se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée. Le professionnel du droit sera donc davantage un stratège avec un savoir-faire plutôt qu’un transmetteur de l’information juridique. En outre, notamment dans le cadre de contentieux où certaines situations peuvent être anxiogènes, l’intelligence artificielle ne pourra jamais remplacer l’empathie et l’humanité du professionnel du droit.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.